Créatrice « borderline » et prolifique, Florence Doléac imagine des objets, à mi-chemin entre art et design, avec beaucoup d’humour. La designeuse toulousaine, désormais basée à Douarnenez en Bretagne, nous a raconté, entre deux cours à l’École nationale supérieure des arts décoratifs, sa pratique du design, son rapport à la création et ses audacieux projets. Rencontre.

Muuuz : Vous êtes représentée par la galerie Jousse Entreprise, une galerie d’art contemporain, vous travaillez en atelier et vous vous considérez comme une « designer borderline ». En cela, votre travail oscille entre art et design. Comment envisagez-vous le design ?
Florence Doléac : C’est en étudiant et en pratiquant le design que j’ai découvert ses limites. Finalement, en tant que designer, on peut trouver des choses à dire et se positionner, puis refuser de faire certaines choses. J’ai essayé de faire du design industriel, mais tout en étant libre. Quand j’avais une bonne idée, j’essayais de trouver l’industrie qui pouvait la développer, mais ça ne fonctionnait pas. Les industries étaient intéressées, mais ce n’est pas comme ça qu’elles travaillent. Je n’ai jamais réussi à développer mes idées avec un industriel, car j’avais un imaginaire trop fervent par rapport au cahier des charges que le métier m’imposait en France. Comme j’étais frustrée par cela, je me suis naturellement laissée porter vers l’art.

Comment décrirez-vous votre pratique du design ?
Aujourd’hui, et surtout depuis mon installation en Bretagne, je mène une vie d’artiste plutôt que de designer. Après mes études et mon expérience avec le groupe Radi Designers, j’ai souhaité revenir au travail de la matière et à une pratique décloisonnée du design.

Dans quelle mesure racontez-vous des histoires ?
Je crois que c’est cette façon d’aborder la matière de manière libre qui me permet de raconter des histoires. Je me l’approprie, la distord, ou la magnifie. Parfois, c’est fainéant, maladroit, hasardeux. Je suis spontanée et intuitive, donc je n’essaye pas d’analyser en même temps que je produis.

L’assise ADADA propose un rapport de convivialité nouveau et des postures régressives. Comment l’idée d’un design ludique vous est-elle venue ?
Les objets ludiques existent depuis la nuit des temps, notamment dans les années 1990. J’ai toujours été sensible à la dérision et aux petits gestes drôles. Cela vient de mon enfance à la campagne. Je viens d’une famille qui aimait beaucoup l’humour et la construction d’objets. En ce moment, je crée justement un lieu associatif de savoirs techniques et ludiques à Douarnenez.

Vous avez étudié le design industriel, mais aujourd’hui vous questionnez la fonction de l’objet et cherchez à perturber rapport que les usagers entretiennent avec lui. Vous décrivez d'ailleurs votre démarche comme une « critique douce du fonctionnalisme ». Pourquoi ?
J’ai toujours observé les gens, leurs comportements individuels ou collectifs. Je me suis alors rendu compte de comiques de situation liés à des dysfonctionnements. Je suis fervente de ces défauts, problèmes et attitudes, où s’immisce l’humour. Je m’amuse. Je développe une forme de critique dans mon travail tout en m’attachant à parler de la fonction des objets. Je bouscule la relation que l’on entretient habituellement avec eux. 

Le recours à l’humour est-il, selon vous, le moyen le mieux à même de questionner l’usage de l’objet ?
Pour moi l’humour, c’est la cerise sur le gâteau, une énergie supérieure. Je suis sensible à cela, donc je cherche à faire sourire le public. L’humour est une invitation à lâcher prise à une époque où l’on rit de moins en moins.

Vous avez décidé de lancer le projet Maxidreams, qui consiste à planter des lits sous des arbres et constituer une cartographie de lits placés sous des arbres différents. Quel rôle a joué l’album illustré de Maurice Sendak Max et les Maximonstres dans votre travail ?
J’ai découvert ce livre pour enfants grâce à une amie, il y a quelques années. Ce livre a été une gifle. J’ai regardé les dessins et découvert la vie de Max. J’ai trouvé ça génial. Les forêts qui poussent dans la chambre de Max m’ont beaucoup questionné. Quel est le lit de rêve ? Est-ce que c’est la forêt qui pousse dans la chambre ? Ne serait-ce pas le lit qui pousse dans la forêt ? Ces réflexions m’ont inspiré, et j’ai fini par créer une communauté internationale de rêveurs avec des lits plantés dans la forêt. J’appelle tout un chacun à venir faire partie de Maxidreams et à construire son propre lit. J’ai installé deux lits des rêves dans la nature. Le premier dans les Cévennes à Gabriac, et le deuxième sur l’île de Nègrepelisse sous une canopée de tilleuls dans le cadre d’une exposition organisée par la Cuisine, centre d'art et de design. J’ai aussi pour projet de fabriquer un lit en France, de le transporter en voilier jusqu'aux États-Unis, puis de le planter sous des érables du parc l’Université Johns-Hopkins à Baltimore. J’ai déjà rencontré les chercheurs du Centre du sommeil de la faculté qui sont d’accord pour collaborer avec moi. Il ne manque plus qu’à trouver les fonds pour faire le voyage.
J’ai également conçu avec le collectif Maximum, des anciens élèves, les Maxidodo, des lits monumentaux. Une de ces créations a d’ailleurs été acquise par un musée belge, le BPS22. Je suis maxi heureuse !

Pom Pom Dust dépeint l’univers domestique à travers une sorte de chorégraphie ménagère. En quoi votre design peut-il être féministe ?
J’ai fait des provocations, mais elles vont au-delà du féminisme. Pom Pom Dust peut atteindre tout le monde, parler aussi bien à un homme qu’une femme. Ma pièce Fée du logis s’inscrit dans la même logique de provocation. Il s’agit de considérer le ménage comme un art de vivre ou une danse. Avec un petit peu d’imagination, les tâches ménagères peuvent devenir très ludiques. Je balaye les convenances et tourne en dérision notre rapport au quotidien pour raconter quelque chose.

A qui votre design s’adresse-t-il ?
Il s’adresse à tout le monde ! Je n’utilise pas des codes culturels précis. Mes pièces sont intemporelles et universelles. Elles piègent le public là où il ne s’y attend pas.

Quel projet rêveriez-vous de réaliser ?
J’ai longtemps voulu créer une super discothèque, mais aujourd’hui cela m’amuse moins. Je souhaite surtout développer mes deux projets actuels, Maxidreams et mon école de savoirs techniques et ludiques en Bretagne.

Comment imaginez-vous le design de demain ?
Less is more. J’espère qu’il y en aura moins. J’imagine un design écologique, un design respectueux de la planète et d’autrui, qui amènerait à une évolution des consciences. Les individus commencent toutefois à réagir. J’apprécie de vivre une ère où les causes d’ampleur deviennent interplanétaires, notamment grâce aux réseaux sociaux et à la nouvelle génération. Mes élèves aujourd’hui sont très portés sur l’écologie, l’humanitaire. Ce sont des enfants de la crise très critiques. Ils arrivent à l’école sensibilisés avec des envies de réinventer leur métier, d’amener des nouvelles énergies et de questionner l’économie, les matériaux, les modes de production.

Pour en savoir plus, visitez le site de Florence Doléac et le site de la galerie Jousse Entreprise

Photographies : 1) Michaël Huard / Say Who

2) Florence Doléac, Adada, 2010, fauteuil 6 places circulaire, balles pvc gonflables, textile enduit pvc, filet polypropylène, velcro. Vue de l’exposition Pom Pom Dust, galerie Jousse Entreprise, Paris, 2011, Courtesy de l’artiste et de la galerie Jousse Entreprise, Paris

3) Florence Doléac, En garde, 2010, polochons patères, plumes, coton, laine, cordes résinées, pitons métal, dimensions variables, © Paul Nicoué, Courtesy de l’artiste et de la galerie Jousse Entreprise, Paris

4) Florence Doléac, Bamakogistretti, 2016, calebasse, 40 cm diamètre, 60 cm H, Courtesy de l’artiste et de la galerie Jousse Entreprise, Paris

5) Florence Doléac et Maximum, Maxidodo, 2019, barrière Vauban acier galvanisé, flocage, étagères en bois Ipé, accessoires, 145 cm H x 270 L x 170 l, © Paul Nicoué, Collection de la Province de Hainaut. Dépôt au BPS22, Charleroi, Courtesy galerie Jousse Entreprise, Paris

Léa Pagnier



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